La recherche, la raison d’être d’une université

On pense parfois, fort malheureusement, que la recherche constitue, dans les tâches universitaires, une sorte de hobby, voire un simple passe-temps que les professeur.e.s font par plaisir et certainement par passion. On comprend souvent mal pourquoi les professeur.e.s se consacrent à une activité aussi chronophage et dont les résultats sont, en fin de compte, assez peu concrets. L’APPUSB a rencontré des membres de plusieurs disciplines (chimie, éducation, histoire, littérature, psychologie, santé publique et traduction) pour mieux comprendre en quoi consistent leurs activités de recherche.


Second volet :

La recherche, la raison d’être d’une université


Pour la plupart des disciplines, la recherche suit, concrètement, un processus assez similaire. Après avoir eu une idée originale, les chercheur.e.s doivent situer cette recherche dans toute la littérature scientifique existante, collecter les données, les trier, les organiser pour être capables d’en faire une analyse et enfin l’expliquer sous la forme d’un rapport, d’un article ou d’une monographie. À partir de ce processus commun, les projets et les disciplines se distinguent les unes des autres.

Monter des équipes inter-universitaires

Les projets multidisciplinaires impliquent parfois la constitution de toute une équipe qui rassemble plusieurs expertises et dont les membres peuvent venir d’universités différentes. C’est donc un travail de coordination entre chercheur.e.s et entre approches disciplinaires qu’il faut réaliser, en respectant des échéanciers et des règles strictes ainsi que des processus administratifs complexes. La mise en place d’un flot de travail permettant la mise en commun des données, des outils d’analyse tout comme des aspects administratifs (règlements de facture, codes budgétaires) prend un temps significatif. « Certaines universités démultiplient les étapes administratives indument ce qui rend la gestion de projet(s) et d’équipe(s) de recherche fastidieuse par moments. » Ce sont souvent les professeur.e.s et en particulier les chercheurs principaux qui doivent faire avancer tous ces rouages.

Un lien de confiance avec les partenaires communautaires

Les projets de recherche visant la communauté pour obtenir sa participation ou cibler des actions concrètes doivent également consulter tous les partenaires et institutions impliqués. Cette consultation est nécessaire dans la conception des hypothèses de recherches ou par la suite, pour obtenir des accès lors de la collecte de données. Le contexte de la francophonie en milieu minoritaire est souvent un avantage : « Étant dans une petite communauté, on se connait bien donc c’est relativement facile de trouver des partenaires communautaires. » Bien que ce travail de partenariat soit essentiel, il comporte aussi une charge de travail conséquente. « Je dois correspondre avec dix-sept divisions scolaires, 47 directions d’écoles et plein d’enseignants avant de pouvoir collecter les données. C’est tout autant de rapports à rendre une fois que le projet est complété et tout ça, connaissant les limites du calendrier scolaire qui rend toute recherche entre la fin du mois de juin et début septembre, tout simplement impossible. » Mais cette recherche compte justement « parce qu’elle est utile pour les gens à qui je m’adresse et qui sont concernés.» Il y a donc souvent un impact direct sur ces populations. Le contexte de la francophone minoritaire est particulièrement fertile pour une recherche – action qui implique la participation de la communauté.

Respecter l’éthique de la recherche

D’autres disciplines doivent également répondre à certaines exigences avant même de collecter les données. Toute recherche a potentiellement un impact sur les sujets étudiés et c’est pourquoi il est nécessaire de présenter son projet de recherche à un Comité d’éthique, capable d’évaluer les effets possibles que peut engendrer la participation à la recherche. C’est un exercice rigoureux et qui est loin d’être anodin. Il faut souvent réviser cette demande à partir des commentaires reçus. « Parfois, les paramètres de la recherche changent et il faut revenir auprès de ce comité pour demander un amendement au certificat d’éthique.» La recherche n’est donc pas un procédé linéaire puisque certains changements demandent parfois aux professeur.e.s de repasser par certaines étapes.

Des demandes de subventions compétitives

Si le projet de recherche implique des frais pour l’embauche d’assistants, pour des déplacements ou pour la diffusion des résultats de la recherche, il doit faire l’objet d’une demande de subvention. « Le financement est une étape cruciale qui demande beaucoup de temps et d’énergie et qui malheureusement est sans garantie. » Ces concours sont très compétitifs.

« Lorsque je soumets une demande de subvention dans un concours national, je sais pertinemment que les collègues qui m’évaluent n’ont qu’une vague idée de la charge d’enseignement à l’USB. S’ils savent que nous sommes la dernière université canadienne à demander une charge de 3-3, ils ne connaissent pas l’étendue des champs que nous devons enseigner. » Il en va de même pour plusieurs conférences et colloques où nous diffusons notre recherche. « Plusieurs collègues venant de grandes universités n’ont pas mis les pieds dans une salle de classe depuis dix ans.»

Les projets de recherche des professeur.e.s s’effectuent dans un cadre compétitif, et les évaluations se font trop souvent sans prendre en compte le contexte ou le cadre institutionnel dans lequel les projets doivent se réaliser.

Un manque criant d’assistants de recherche qualifiés

Pour certains professeur.e.s, une grande difficulté réside dans le manque d’étudiants qualifiés pour les assister dans leur travail de recherche. Les étudiants de premier cycle n’ont pas forcément les qualifications requises. « Dans le contexte d’une offre très restreinte de cours dans ma discipline à l’USB, il devient extrêmement difficile sinon impossible pour moi de recruter des étudiants pour faire de la recherche de premier cycle dans mon domaine d’intérêt principal, simplement parce que l’USB n’offre pas suffisamment de cours dans la sous-discipline. » Souvent, les professeur.e.s n’ont pas d’autre choix que de donner des tâches très simples à ces étudiants et d’assumer tout le reste eux-mêmes. Leur emploi du temps pose également problème. Dans les rares disciplines où il existe un programme de maîtrise, les étudiants travaillent toute la journée et ne peuvent pas s’impliquer encore dans un projet de recherche. Cela dit, la recherche demeure possible. Dans ces cas, les professeur.e.s doivent donner une formation substantielle et un suivi très rapproché aux étudiants de premier cycle. Ils s’appuient également sur des étudiants d’autres universités et doivent assumer une supervision à distance. Ces solutions, cependant, ne sont pas envisageables pour toutes les disciplines et rallongent très souvent la réalisation du projet de recherche.

Un manque de disponibilité intellectuelle

La recherche dans plusieurs autres disciplines n’exige ni financement, ni équipement particulier et c’est pourquoi ils ne font pas l’objet d’une demande de financement. La collecte de données n’est pas une étape intensive du projet. C’est par exemple le cas pour des études d’œuvres publiées et largement disponibles. Dans ces cas, le défi se trouve dans l’analyse. En effet, puisque les données sont connues de tous, c’est par l’interprétation que les professeur.e.s doivent absolument se démarquer. Ces chercheur.e.s ne peuvent pas simplement vérifier une expérience ou tester une hypothèse dans un contexte différent. Leurs idées doivent être tout à fait originales, ce qui présuppose qu’ils soient parfaitement à jour dans leur discipline ainsi que dans toutes les autres disciplines connexes traitant de la même thématique. Il en va de même pour les œuvres de création effectuées par les professeur.e.s. Ces réalisations participent au rayonnement de l’université et démontrent tout autant aux étudiant.e.s le leadership de leur.s professeur.e.s en termes d’innovation et de créativité.

C’est précisément parce que l’innovation, l’interprétation ou la créativité sont complexes, que la disponibilité intellectuelle demeure la condition sine qua non à toute recherche. C’est le cas pour toutes les disciplines confondues. Les professeur.e.s ont besoin de temps pour entreprendre une réflexion suffisamment profonde aux exigences de la recherche et de l’innovation. Contrairement à ce que l’on pense, la période entre le mois avril et d’août ne suffit pas. Dans ce laps de temps, les professeur.e.s doivent continuer leurs activités de service et préparer les cours de la session suivante. De plus, c’est un travail qui est trop souvent remis à plus tard : en effet, c’est toujours l’enseignement ou le service qui se manifeste sous la forme d’un courriel ou d’une tâche exigeant une réaction rapide. Les professeur.e.s sont les seuls à porter leur projet de recherche, à devoir y accorder une véritable priorité. Enfin, on aurait tort de croire que l’ensemble du processus de collecte de données, de tri, de catégorisation, d’analyse et de rédaction peut se réaliser en l’espace de quelques semaines. La recherche, tout comme la création, est un travail d’artisan qui se fait avec précision et sur un temps long parce qu’il répond à tout un corpus de savoir et d’innovation qui le précède.

Des publics divers

Le grand public ou les étudiants ont parfois de la peine à comprendre à quoi servent les articles dans les revues scientifiques, où des écoles de pensée se disputent et où les sujets semblent parfois ultra précis, alors qu’il est bien plus simple de lire un manuel de synthèse, où la prose est plus accessible et la matière, épurée. Cependant, l’un ne va pas sans l’autre : aucun manuel de synthèse ne peut exister sans des dizaines, des centaines ou des milliers d’articles au fil desquels les spécialistes ont débattu, disputé ou confirmé des résultats de recherche. C’est seulement au fil de décennies de recherche et du croisement multiple des idées qu’il peut exister un consensus.

Les professeur.e.s de l’USB en sont conscients, possiblement parce que l’enseignement leur rappelle l’importance de rendre la recherche accessible. «Un.e professeur.e peut être à la fois bon.ne chercheur.euse et bon.ne pédagogue.» C’est pour cette raison que plusieurs chercheur.e.s de l’USB s’adressent à leurs pairs dans des revues scientifiques, mais aussi au grand public par une variété de publications. L’engagement avec le public dans les médias sociaux est utile mais constitue à nouveau une charge supplémentaire dans le travail des chercheur.e.s.

Un impact sur le long terme

Un autre problème de taille réside dans la manière de mesurer l’impact de la recherche.  Trop souvent, et c’est particulièrement le cas lorsque notre recherche est évaluée à des fins de promotion ou de réduction de charge d’enseignement par des personnes qui ne sont pas des spécialistes, la quantité prime sur la qualité de la recherche, ce qui a des effets négatifs.           « Privilégier la quantité sur la qualité, c’est faire l’éloge de la médiocrité, » commente un.e professeur.e. Un défi similaire tiraille nos professeur.e.s concernant la langue choisie pour diffuser la recherche. « Si je publie ma recherche en français, je n’entre en conversation qu’avec une poignée d’autres chercheurs. D’un autre côté, si je produis une recherche en anglais, je contribue à la mort du français comme langue de science et de savoir. » Les professeur.e.s tentent donc parfois de publier dans les deux langues pour faire avancer la science tout en garantissant l’épanouissement d’une langue minoritaire.

Tous ces efforts ont un impact direct. D’abord, la recherche et l’enseignement sont indissociables et s’influencent mutuellement. Par ailleurs, beaucoup de recherches appliquées se font et contribuent aux pratiques sur le terrain. Bref, la recherche contribue non seulement à l’avancement des connaissances scientifiques, mais également à la formation universitaire des étudiant.e.s et au travail des praticien.nes sur le terrain. Les chercheur.e.s redoublent d’efforts pour faire avancer la science, faire vivre la langue française, et inspirer les étudiants qui sont nos leaders de demain. On comprend donc qu’il importe peu, en soi, de compter le nombre de copies de livres vendus ou de citations engendrées par un article donné, particulièrement sur le court terme L’impact réel de la recherche doit se comprendre sur la longue durée, car la recherche prolonge le travail de générations de scientifiques et prépare celui de la relève de demain.

Des mesures simples et efficaces

Les professeur.e.s sont convaincus que la mission première d’une université est celle de créer et transmettre des savoirs. Certains pensent que des mesures très concrètes, comme un meilleur soutien administratif ou un système de mentorat entre professeur.e.s pourraient leur permettre de mieux jongler les aspects administratifs, institutionnels et scientifiques de la recherche. Une réduction de la charge d’enseignement constituerait un premier pas dans la bonne direction, et nous rendrait plus comparables aux autres universités. Beaucoup cependant s’accordent pour affirmer qu’un congé sabbatique automatique et garanti à tous les professeur.e.s serait une mesure efficace pour rattraper un retard engendré par des années d’enseignement intensif et de disposer d’un temps ininterrompu pour se concentrer sur leurs projets de recherche. Aujourd’hui, la seule manière dont les professeur.e.s peuvent dégager du temps pour leur recherche est de monter tout un dossier pour le soumettre à une compétition interne. Cet exercice, à nouveau, demande des efforts considérables pour rédiger des demandes ou des rapports et détourne les professeur.e.s d’un temps qui devrait être consacré à la recherche. On ne peut que s’imaginer quels seraient les projets de recherche et de création, ainsi que leur impact sur le rayonnement de l’USB, si les conditions de travail des professeur.e.s leur donnaient le temps nécessaire à cet effort intellectuel. Les étudiants bénéficieraient de cours stimulants enseignés par des professeur.e.s qui seraient une source d’inspiration, un modèle d’engagement et de créativité. C’est dans ce contexte qu’ils seraient le mieux formés à devenir les leaders de demain.