Défendre la collégialité: le fondement de l’Université 

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Le Winnipeg Free Press révélait, le 3 juillet 2024, la démission d’un membre du Bureau des gouverneurs de l’Université de Winnipeg. Motif : gouvernance opaque. Autrement dit, des décisions prises sans explications sur leurs raisons. Un avertissement pour toutes les institutions, surtout l’Université de Saint Boniface (USB) qui négocie en ce moment avec son corps professoral qui demande une réduction de la charge d’enseignement, une parité salariale avec leurs homologues et enfin, une meilleure protection de la collégialité universitaire. 

Qu’est-ce que la collégialité ?

La collégialité universitaire est différente de celle que l’on connaît pour le monde professionnel où ce principe peut être synonyme de respect mutuel ou de politesse. Dans le contexte universitaire, la collégialité venant du latin de con (ensemble) et lego (choisir) prend son véritable sens : elle signifie prendre, ensemble, les décisions qui touchent l’ensemble de l’établissement en ses différentes composantes. Ainsi, la collégialité découle directement de la mission d’excellence en recherche et en enseignement que porte une université. Elle se décline de trois façons : la liberté universitaire, la répartition des responsabilités et l’administration de l’université. 

La liberté universitaire : au centre d’une université

On pense souvent à la liberté universitaire comme celle du droit d’une personne d’exprimer son opinion sans crainte d’en subir des pressions venant de son institution. Elle est cependant plus complexe. C’est d’abord la liberté d’un.e chercheur.se d’intervenir dans son champ d’expertise selon l’angle de recherche, les hypothèses et les questions de son choix. Peu importe les tendances à la mode ou le contexte politique, c’est à eux de définir leur intervention qui s’inscrit souvent dans un temps plus long – par rapport à un savoir plus ancien, construit par des générations de chercheurs.

La liberté universitaire est aussi ce qui assure l’autonomie des universités par rapport à leur contexte politique, économique ou social. Le savoir créé et transmis par une université ne peut pas –et ne doit pas– se transformer immédiatement et du tout au tout en fonction de ces changements. 

Enfin, la liberté universitaire n’est pas à confondre avec la liberté d’expression. Alors que cette dernière relève d’une charte constitutionnelle, la liberté universitaire est un outil de travail des universitaires. Au cœur de leurs conditions de travail, elle est protégée par la convention collective.

La liberté universitaire est donc essentielle à la prise de décision commune au sein de l’université, car par elle, les chercheurs.ses peuvent évoquer les choix les plus pertinents selon les plus récentes découvertes dans leurs domaines respectifs, et la décision prise venant de la communauté universitaire reste autonome face aux pressions extérieures qui peuvent, rapidement, faire bifurquer une université de ses véritables objectifs. Notons que la liberté universitaire permet aussi aux professeur.e.s et professionnel.le.s de critiquer l’administration de leur université sans craindre de représailles.

Des responsabilités partagées par des pairs

La collégialité universitaire repose aussi sur un principe de base: l’Université fonctionne par le travail de pairs. À la tête d’une faculté, se trouve un doyen qui est un professeur dont l’autorité est ancrée dans son expérience dans la recherche et l’enseignement. C’est en fait une direction qui est assez similaire au monde clérical. Le Pape est le chef de l’Église catholique romaine. Mais il est historiquement nommé comme tel au nom du principe “primus inter pares” (le premier entre les pairs). Par conséquent, seul.e.s des professeur.e.s peuvent devenir doyen.ne.s. 

C’est en raison de ce même principe que les professeur.e.s sont responsables d’une grande partie du fonctionnement de l’université. Ce ne sont pas des analyses de tendance, des priorités de marketing ou des exigences politiques qui devraient décider des programmes offerts aux étudiants. Tous ces éléments peuvent être utiles la manière dont l’université s’adapte à son temps. Mais il appartient aux professionnel.le.s de la mission universitaire – ceux et celles qui y enseignent et y font de la recherche – de déterminer l’avenir des programmes (création, abolition, mise à jour), ainsi que les exigences académiques qui les structurent. 

Il en va de même pour l’embauche de nouveaux.elles professeur.e.s. Les professeur.e.s sont ceux qui déterminent le profil des membres qui viennent renouveler le corps professoral et compléter les expertises existantes dans l’institution. 

Enfin, la collégialité demande que les professeur.e.s travaillent ensemble pour assurer une vaste quantité d’activités qui ne touchent pas directement la recherche et l’enseignement. Ils et elles sont là pour expliquer l’importance et l’utilité des études postsecondaires pour les étudiants lors des soirées Portes ouvertes. Ils et elles organisent des conférences et des activités extra-curriculaires. Dans certaines universités, ce sont encore des professeur.e.s qui occupent des postes politiques importants. La question de l’équité de l’Université du Manitoba, par exemple, n’a pas été confiée à une firme de consultants, à des professionnel.le.s du monde corporatif ou à un service d’appui. Un vice-rectorat a été créé et c’est une professeure qui y a été nommée.  Si les professeur.e.s sont exclu.e.s de la prise de décision, alors la gouvernance devient opaque et la collégialité périclite. 

L’administration de l’université

L’administration, au sein d’une université, joue un rôle de premier plan dans la prise de décisions. Par sa vue d’ensemble, et au fait des multiples enjeux qui touchent notamment son financement, elle est bien placée pour comprendre ce que sont les priorités qui porteront l’établissement dans l’avenir. Mais cette vue d’ensemble, si elle n’est pas éclairée et confrontée aux véritables défis que vivent les employés dans leur travail quotidien, peut devenir rapidement unilatérale, déconnectée de la réalité. La collégialité exige que les décisions soient prises en commun avec le reste des employés de l’institution. Même si c’est souvent l’administration qui a le dernier mot sur les décisions difficiles, elle doit, selon le principe de collégialité, pouvoir expliquer et justifier celles-ci et montrer qu’elles ont été prises suivant un véritable et authentique processus de consultation de ses employés. L’administration, par définition et selon le principe de collégialité, a pour but de servir et d’aider, non de commander.

Une collégialité qui s’érode, y compris à l’USB 

Malheureusement, ce qui fait de l’Université une institution unique dans nos sociétés est de plus en plus remis en question. La collégialité s’érode depuis plusieurs années et à tous les niveaux. L’Université de Saint-Boniface ne fait pas exception. 

Nos voisins du sud nous montrent que la liberté académique des institutions peut être très vite remise en question en fonction du contexte politique et des changements de pouvoir. Or, cette érosion se manifeste également de manière plus sournoise. Le financement annuel des universités subit de fortes fluctuations. Chaque coupure de programme a un effet négatif sur la mission universitaire, et parfois de manière radicale. La diminution du financement provincial, sous le gouvernement conservateur de Brian Pallister, menaçait l’autonomie des universités et provoquait des coupures de postes à l’USB dans le cas du budget 2018-2019. En outre, la tentation de programmer les universités en fonction des besoins du marché du travail ou de mesurer leur «performance» en fonction du taux de diplomation des étudiants ou des emplois qu’ils décrochent compromettent l’autonomie des universités et les dénature.

La liberté universitaire n’est pas un idéal abstrait; elle est un prérequis à l’excellence, une condition sine qua non à l’atteinte de la mission propre à l’Université. 

La répartition des responsabilités est, elle aussi, toujours plus difficile. En effet, lorsque les ressources sont limitées et que les professeur.e.s et professionnel.le.s sont surchargé.e.s comme dans un petit établissement comme le nôtre, plusieurs problèmes se posent. Il est difficile de trouver des volontaires pour siéger aux comités faute de temps. Le manque de fonds pour la recherche force aussi ces personnes à entrer en compétition les unes contre les autres dans des compétitions internes – ce qui est le cas pour chaque congé sabbatique ou allégement des charges d’enseignement sont limités. 

Cette répartition des responsabilités est encore plus difficile à tenir lorsqu’elle n’est même pas respectée, y compris à l’USB. On ne compte plus les résolutions prises en assemblée départementale ou au Sénat qui sont, sinon obstruées, à tout le moins tout simplement ignorées. C’est le cas par exemple lors de la création ou la fermeture de programmes, l’élaboration d’un profil pour une embauche prochaine, ou de simples activités extra-curriculaires. Trop souvent les exercices de « consultation » sont-ils réduits à de simples « séances d’information », l’auditoire médusé étant systématiquement placé devant les faits accomplis. La collégialité, principe fondateur de l’Université, est ainsi sévèrement rabrouée.

Surtout, et c’est là que le bât blesse, la structure décisionnelle actuelle est parfaitement étanche au principe de collégialité. La gestion de l’USB se fait par le rectorat – qui est appuyé par deux vice-recteurs s’occupant de l’administration et des finances d’une part, et de la recherche et de l’enseignement d’autre part. Leurs décisions sont appuyées par un Bureau des gouverneurs, défini par la loi sur l’Université de Saint-Boniface du 26 juin 2011. Le Bureau compte quinze sièges, mais seuls deux sont occupés par des professeurs et deux par des étudiants. Aucun siège n’est réservé aux syndicats. Cette sous-représentation est préoccupante puisque ce sont les professeur.e.s, les professionnel.le.s et les étudiant.e.s les premier.e.s concerné.e.s par la mission de recherche et d’enseignement de cet établissement. 

De plus, les rencontres du Bureau des gouverneurs de l’USB ne sont pas publiques, ce qui avait été relevé dans un rapport: Modernizing Governance and Oversight at Manitoba’s Post-Secondary Institutions. On peut constater d’ailleurs un certain contraste entre notre volonté de vouloir participer à cette institution et ses difficultés à trouver des membres pour y siéger. Les professeur.e.s et professionnel.le.s demandent une plus forte représentation ou au moins être invité.e.s pour s’entretenir avec les membres du Bureau des gouverneurs. À l’inverse, le Bureau a opéré pendant des mois avec 2 sièges vacants et devait publier une annonce au printemps 2025 pour trouver des bénévoles prêts à y servir.

Une collégialité universitaire à protéger

Contrairement à nos voisins du sud ou à l’Université de Winnipeg, nous n’avons pas besoin d’un gouvernement déterminé à mettre les universités à genoux ni de démissions fracassantes. La collégialité s’érode depuis des années et elle doit être protégée. C’est ce que demande l’APPUSB comme l’une de ses revendications principales dans cette ronde de négociation. Car l’université cesse de poursuivre sa mission d’excellence en recherche et en enseignement aussitôt qu’elle oublie ce qui fait d’être la seule institution autonome pour la transmission et la création des savoirs.


Defending collegiality: the foundation of the University

On July 3, 2024, the Winnipeg Free Press revealed the resignation of a member of the University of Winnipeg’s Board of Governors. The reason: opaque governance. In other words, decisions were being made without any explanation as to why. This is a warning to all institutions, especially the University of Saint Boniface (USB), which is currently negotiating with its faculty, who are demanding a reduction in their teaching load, equal pay with their counterparts, and, finally, better protection of academic collegiality.

What is collegiality?

University collegiality is different from what we know in the professional world, where this principle can be synonymous with mutual respect or professional courtesy. In the university context, collegiality, which comes from the Latin con (together) and lego (to choose), takes on a more specific meaning: it means making decisions together that affect the entire institution in its various components. Thus, collegiality stems directly from a university’s mission to promote excellence in research and teaching. It takes three forms: academic freedom, the allocation of responsibilities, and university administration.

Academic freedom: a principle at the heart of a university

Academic freedom is often thought of as the right of an individual to express their opinions without fear of pressure from their institution. However, it is more complex than that. First and foremost, it is the freedom of a scholar to work in their field of expertise according to their choice of methodological approach, hypotheses, and research topics. Regardless of current social trends or political contexts, it is up to them to define their work, which is often part of a longer-term project based on prior knowledge built up by generations of scholars.

Academic freedom also ensures the intellectual autonomy of universities from their political, economic, and social contexts. The knowledge created and transmitted by a university cannot—and must not—be subject to the demands of these forces.

Finally, academic freedom should not be confused with freedom of expression. While the latter is enshrined in a constitutional charter, academic freedom is a working tool for academics. As a principle at the heart of their working conditions, it is protected by the collective agreement.

Academic freedom is therefore essential to joint decision-making within the university, as it allows scholars to discuss the most relevant choices based on the latest discoveries in their respective fields while ensuring that the decisions taken by the academic community remain autonomous in the face of external pressures that may divert a university from its primary objectives. It should be noted that academic freedom also allows professors and instructors to criticize their university’s administration without fear of reprisal.

Responsibilities shared by peers

Academic collegiality is also based on a fundamental principle: the university functions through the work of peers. At the head of a faculty is a dean, who is a professor whose authority is rooted in their experience in research and teaching. This is actually a leadership structure that is quite similar to the clerical world. The Pope is the head of the Roman Catholic Church. But historically, he is appointed as such in accordance with the principle of “primus inter pares” (first among equals). In a similar fashion, only professors can become deans.

It is because of this same principle that professors are responsible for much of the university’s operations. It is not trend analyses, marketing priorities, or political demands that ought to determine the programs offered to students. All of these elements can be useful in how the university adapts to the times. But it is up to the professionals responsible for the university’s mission—those who teach and do research there—to determine the future of programs (their establishment, closure, and reform), as well as the academic requirements that structure them.

The same applies to the hiring of new professors. Professors are the ones who determine the profile of those new faculty members hired to renew the faculty and complement the existing expertise within the institution.

Finally, collegiality requires professors to work together to carry out a wide range of activities that are not directly related to research and teaching. For example, professors explain the importance and usefulness of post-secondary education to students during open houses or they organize conferences and extracurricular activities. In some universities, professors still hold important administrative positions. The issue of equity at the University of Manitoba, for example, was not entrusted to a consulting firm, corporate professionals, or a support service. A vice-rectorate was created, and a professor was appointed to it.

If professors are excluded from the decision-making process, governance becomes opaque and collegiality declines.

University administration

The administration plays a leading role in decision-making within a university. With its comprehensive knowledge of the many issues affecting university funding, it is well placed to understand the priorities that will carry the institution into the future. But this knowledge, if it is not informed about the practical challenges that employees face in their daily work, can quickly become one-sided and disconnected from reality. Collegiality requires that decisions be made jointly with the rest of the institution’s employees. Even though it is often the administration that has the final say on difficult decisions, according to the principle of collegiality, it must be able to explain and justify these decisions and show that they were made following a genuine and authentic process of consultation with its employees. By definition and according to the principle of collegiality, the administration’s goal is to serve and help, not to command.

Eroding collegiality, including at USB

Unfortunately, what makes the university a unique institution in our societies is increasingly being called into question. Collegiality has been eroding for several years and at all levels. The University of Saint Boniface is no exception.

Our neighbors to the south show us that the academic freedom of institutions can very quickly be endangered depending on the political context and changes in power. However, this erosion may also manifest itself in more insidious ways. Annual university funding is subject to significant fluctuations. Each program cut has a negative effect on the university’s mission, sometimes in a radical way. The reduction in provincial funding under Brian Pallister’s Conservative government threatened the autonomy of universities and led to job cuts at USB in the 2018-2019 budget. Furthermore, the temptation to program universities according to the needs of the labor market or to measure their “performance” based on student graduation rates or the jobs they obtain compromises the autonomy of universities and distorts their nature.

Academic freedom is not an abstract ideal; it is a prerequisite for excellence, a sine qua non for the fulfillment of the University’s mission.

The allocation of responsibilities is also becoming increasingly difficult. Indeed, when resources are limited and professors and instructors are overworked, as in a small institution like ours, several problems arise. It is difficult to find volunteers to sit on committees due to time constraints. The lack of research funding also forces these individuals to compete against each other in internal competitions—which is the case for every sabbatical or teaching load reduction, which are limited.

This necessary allocation of responsibilities is even more difficult to maintain when it is not properly respected, including at USB. There are countless resolutions passed in departmental assemblies or in the Senate that are, if not obstructed, then simply ignored. This is the case, for example, when establishing or closing programs, determining a profile for an upcoming hire, or simply organizing extracurricular activities. All too often, “consultation” exercises are reduced to mere “information sessions,” with the stunned audience systematically presented with a fait accompli. Collegiality, the founding principle of the University, is thus severely undermined.

Above all, and this is where the problem lies, the current decision-making structure is completely impervious to the principle of collegiality. The USB is managed by the rector’s office, which is supported by two vice-rectors responsible for administration and finance on the one hand, and research and teaching on the other. Their decisions are supported by a Board of Governors, defined by the University of Saint-Boniface Act of June 26, 2011. The Board has fifteen seats, but only two are occupied by professors and two by students. No seats are reserved for union representatives. This underrepresentation is concerning, since it is professors, professionals, and students who are most affected by the institution’s research and teaching mission.

Furthermore, the meetings of the USB Board of Governors are not public, as noted in a report entitled Modernizing Governance and Oversight at Manitoba’s Post-Secondary Institutions. There is a certain contrast between our desire to participate in this institution and its difficulty in finding members to sit on the Board. Faculty and staff are asking for stronger representation or at least to be invited to meet with the members of the Board of Governors. Conversely, the Board operated for months with two vacant seats and had to publish an announcement in the spring of 2025 to find volunteers willing to serve on it.

Academic collegiality must be protected

Unlike our neighbors to the south or the University of Winnipeg, we do not need a government determined to bring universities to their knees or dramatic resignations. Collegiality has been eroding for years and must be protected. This is one of the APPUSB’s main demands in this round of negotiations. For the university ceases to pursue its mission of excellence in research and teaching as soon as it forgets what makes it the only autonomous institution for the transmission and creation of knowledge.